«Le bassin de l’emploi n’est pas adapté au positionnement actuel du Maroc sur les prestations à forte valeur ajoutée», regrette Youssef Chraibi, président de l’AMRC

L’offshoring, l’un des métiers mondiaux du Maroc (MMM), a toujours été érigé en exemple de croissance. Aujourd’hui, la roue semble tourner et le secteur affiche pour la 1re fois une contre-performance. Youssef Chraibi, président de l’Association marocaine de la relation client (AMRC) et du groupe Outsourcia, décrypte cette tendance.

– L’Economiste: Les recettes des métiers de l’offshoring présentent des signes d’essoufflement. Comment expliquez-vous ce revirement?
– Youssef Chraibi: Nous assistons en effet à un ralentissement de l’activité pour la première fois cette année. Le secteur conserve néanmoins toute son importance avec près de 70.000 emplois. Il est aussi la 6e plus forte activité en termes de revenus à l’export. Seulement, nous ressentons, depuis l’année dernière, à la fois une contraction de la demande, en particulier en France, notre premier marché avec un poids de 80%, et une moindre compétitivité de la destination Maroc

– Quel bilan faites-vous de l’année 2013?
– 2013 aura été la première année de performance négative du secteur après plus de 10 ans de croissance moyenne à 2 chiffres. Les revenus à l’export du secteur ont reculé de 2,7% à 7,2 milliards de DH. Les deux segments majeurs de l’offshoring que sont les centres d’appels et ITO ont été touchés. 3 phénomènes essentiels expliquent le ralentissement de l’activité dans les centres d’appels. Dans un premier temps, l’activité a été impactée par une conjoncture défavorable en France et en particulier les fortes difficultés des 3 opérateurs télécoms français suite à l’arrivée de Free sur le marché du mobile. Cela a réduit leurs flux externalisés, aussi bien en France qu’en offshore. Or, ce secteur représente environ 50% du marché des outsourceurs au Maroc. L’autre facteur est lié à la concurrence de plus en plus perceptible de destinations low cost, en particulier de pays d’Afrique subsaharienne, qui commencent à se positionner comme des alternatives réelles dans un contexte de recherche de baisse de prix à cause de la crise en France. D’un point de vue plus structurel, le secteur est entré dans une phase de maturité et donc de consolidation. Cela implique la disparition de certains acteurs de petite taille et l’arrêt de certaines activités non rentables (en particulier le télémarketing à faible valeur).

– Mais les opérateurs s’inquiètent sur l’évolution du secteur?
– Nous restons confiants sur les perspectives d’évolution à moyen et long terme. Le phénomène mondial d’externalisation offshore devrait continuer à s’intensifier, en particulier en provenance d’Europe. Le Maroc dispose d’atouts structurels pour devenir une destination nearshore haut de gamme positionnée sur les segments à forte valeur à l’inverse d’un positionnement low cost. La croissance devrait également venir de nouvelles activités, notamment dans le secteur financier, avec les départs à la retraite d’une certaine génération actuellement employée en France.
– Quels sont les segments sur lesquels le Maroc n’arrive pas à se positionner?
– Le segment du BPO constitue l’éternelle arlésienne du secteur de l’offshoring. Bien que sans cesse annoncé, son décollage se fait attendre, pas tant en raison d’un mauvais positionnement du Maroc, mais plus du fait d’un retard du marché français.
En effet, à l’inverse des entreprises anglo-saxonnes, les donneurs d’ordre français ont, d’une part, culturellement moins le reflexe d’externaliser et, d’autre part, plus de difficultés à gérer les conséquences sociales internes que cela entraîne, en raison de la rigidité de leur législation du travail.

– Quels sont les principaux freins que vous rencontrez?
– La contraction de l’offre française en raison de la conjoncture morose dans la quasi- totalité des secteurs. S’y ajoute la concurrence des pays low cost qui attirent plus facilement les donneurs d’ordre en difficulté. Le bassin de l’emploi n’est pas adapté au positionnement actuel du Maroc sur les prestations à forte valeur ajoutée. Et si nous ne pouvons plus gagner la guerre des prix contre les destinations low cost, nous ne pouvons nous permettre de perdre également la course à la qualité, qui constitue notre seule issue.

– Comment évolue la concurrence dans cette conjoncture difficile?
– Les prix restant un élément majeur de choix d’une destination, les pays d’Afrique subsaharienne ont connu justement une forte croissance en 2013, de 5 à 10%, notamment en Côte d’Ivoire, Sénégal et Madagascar. Cela est lié à la recherche de prix bas durant les périodes de conjoncture difficile. Les donneurs d’ordre ont transféré certains types d’activités, en particulier dans le domaine du télémarketing de prospection, économiquement plus viable dans ces destinations. Des outsourcers majeurs comme Acticall ou Webhelp proposent depuis 2013 des alternatives crédibles à leurs clients dans ces pays d’Afrique.