Sur la période 2014-2016, l’Anapec a relevé un besoin de 103.365 emplois chez les entreprises. Le commerce et la distribution font partie de ceux qui offrent le plus d’opportunités (7.928 postes), de même que l’offshoring et les TIC (22.071), qui font également partie des métiers d’avenir

S’IL y a des métiers dont les entreprises ne peuvent se passer, c’est bien ceux de la vente. Impossible pour elles de se priver de leur raison d’être: réaliser du cash. En temps de crise, ces métiers, communs à presque tous les secteurs, sont d’autant plus vitaux. Dans les années à venir, ils sont appelés à se développer encore plus. «La demande est effectivement très importante. Ce sont des métiers qui ont toujours existé, mais qui se sont professionnalisés.
Quand la crise s’est installée et que les marges se sont tassées, les entreprises ont compris la nécessité d’investir dans une force de vente professionnelle», relève Ilham Boujlid, DG du cabinet Job2vente. Avec l’implantation des enseignes étrangères, le développement des centres commerciaux, grande et moyenne distribution et l’intensification de la concurrence, les paramètres qualité/prix ne suffisent plus. Les entreprises doivent aussi pouvoir compter sur des commerciaux à même d’aller chercher des marchés, de flairer les bonnes affaires, de fidéliser les clients, d’argumenter, de négocier, de défendre la marque de l’entreprise, de faire de la vkeille concurrentielle, de comprendre les enjeux du marché… autant de qualités capitales pour le business. Sans compter les aptitudes en termes de savoir-être et de savoir-vivre.
Il existe aujourd’hui un fort besoin sur plusieurs profils. «Dans le B2C, nous n’avons pas assez de vendeurs, merchandisers, représentants commerciaux, chargés de clientèle,… dans le B2B, c’est encore plus rude de trouver les bons profils, parce qu’il faut aussi de la technicité», précise Boujlid. «Comme les technico-commerciaux, maîtrisant à la fois la technique dans des domaines tels que l’électricité, le bâtiment ou la mécanique, et qui sont capables d’aller à la rencontre des entreprises. Les employeurs peuvent prendre des bac+2 pour cela, mais les niveaux sont faussés. Ils sont obligés d’engager des bac+4 ou bac+5», poursuit-elle.
Généralement, les recrues juniors démarrent avec un salaire fixe de près de 2.500 DH, avec un variable qui peut aller jusqu’à 100% du fixe, voire plus. La rémunération n’est certes pas très alléchante, d’autant plus qu’il s’agit de métiers difficiles (environ 12 heures d’activité par jour) et socialement peu valorisés. Mais l’évolution de carrière peut être rapide, à condition de «persévérer». En moyenne, un délai «fatidique» de deux années est nécessaire avant de pouvoir grimper les échelons et arriver à des postes de middle management, très recherchés par les enseignes. Un vendeur peut, par exemple, devenir manager, puis gérant d’un point de vente, superviseur, responsable régional ou gérant de brand. Avec la rareté des compétences, la progression est en mode accéléré. «Malheureusement, toutes les entreprises n’accompagnent pas leurs ressources dans cette évolution d’opérationnel à middle management, or ce sont deux métier totalement différents. Elles n’ont pas non plus de politiques de fidélisation», regrette la directrice de Job2vente.
Mais encore faut-il trouver les bonnes ressources sur le marché. Il est de notoriété publique que le système d’éducation et de formation livre des profils «défaillants» en matière de compétences comportementales (autonomie, esprit d’initiative, rigueur, …), linguistiques et communicationnelles, essentielles aux métiers de vente.
Dans l’offshoring, à titre d’exemple, où les commerciaux et les télévendeurs sont une denrée rare, la faiblesse du réservoir de jeunes employables a mené à une inflation sur les salaires. Un vendeur junior peut démarrer avec un fixe de 5.000 DH et un variable allant de 2.000 à 10.000 DH, selon l’AMRC (l’Association marocaine de la relation client).  Le secteur enregistre chaque année un déficit de 6.000 postes. Le taux de rétention des candidats est d’à peine 5% (3% dans d’autres secteurs). Le turnover y est également très élevé, 30%. Dans l’ensemble des métiers de vente, la moyenne est de 25%. Les jeunes, très volatils et ne bénéficiant que rarement d’un dispositif d’intégration dans l’entreprise, changent de structure pour quelques centaines de DH supplémentaires. Cela ne leur permet pas d’acquérir de l’expérience et de capitaliser sur leurs acquis.
Ils ont aussi des prétentions salariales disproportionnées par rapport à leurs vraies compétences. Un lauréat d’un bac+5 de l’université publique accepterait difficilement de démarrer avec un salaire de 4.000 DH.
«L’incompétence» du bassin d’emploi coûte cher aux entreprises. Avec un système de formation défaillant, elles sont obligées de supporter le coût de la mise à niveau des nouvelles recrues. Ces dernières ne sont opérationnelles qu’après un délai de 6 à 18 mois, selon les professionnels, alors que la moyenne «normale» devrait être de 3 mois.

                                                                  

Se décomplexer par rapport aux métiers
opérationnels

Entre les jeunes et les métiers opérationnels, c’est le désamour total. Toutes les études menées auprès des lycéens montrent que la majorité rêvent de devenir médecins, architectes, avocats, ingénieurs, cadres d’entreprise,… ceux qui décochent leur bac s’orientent plus vers l’enseignement supérieur en vue de décrocher une licence ou un master, pensant qu’il s’agit du sésame pouvant leur ouvrir les portes du marché de l’emploi. Mais une fois diplômés, ils se heurtent à la dure réalité: ils se retrouvent en possession de diplômes qui ne valent pas grand-chose aux yeux des employeurs, puisque les apprentissages reçus ne correspondent pas aux attentes des entreprises. Difficile pour eux de se résigner à revoir leurs prétentions et à changer d’orientation. Plus ils attendent, plus leurs chances de s’insérer dans le milieu professionnel s’amenuisent. Selon le HCP, les diplômés de niveau supérieur chôment 45,4 mois, soit près de 4 ans. «La répartition des ressource humaines dans les entreprises, selon les secteurs, est de 5 à 10% de cadres, 20 à 25% de techniciens et 50 à 70% d’ouvriers. Le problème c’est que tout le monde se présente avec un bac+5. Or, les débouchés sont limités, 10% des besoins tout au plus», précise Tajeddine Bennis, vice-président de l’Amica (Association marocaine pour l’industrie et le commerce automobile). «Les techniciens qui démarrent chez nous à 20 ans, à 25 ans, ils justifient déjà de plusieurs années d’expérience. A 35 ans, ils atteignent des niveaux de responsabilité très importants. Les autres qui optent pour un 2e ou 3e master, à presque 30 ans, ils ne trouvent toujours pas de travail», ajoute-t-il. Avec la réforme de la formation professionnelle (toujours en préparation), incluant la formation tout au long de la vie et la validation des acquis professionnels, les choses pourraient peut-être changer. Mais tant que les métiers opérationnels (technicien, vendeur, plombier, électricien,…), qui pourtant peuvent être très rentables, sont synonymes de déclassement social aux yeux des jeunes, cela ne risque pas d’arriver.

Ahlam NAZIH